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quand je délibère les jeux sont faits ?

# Quand je délibère, les jeux sont faits : une réflexion sur la délibération et la volonté selon Sartre

Dans la philosophie de Jean-Paul Sartre, la notion de liberté est un sujet central. Mais il y a des nuances – importantes – qui méritent d’être élaborées. C’est notamment le cas dans ce fameux statement : « Quand je délibère, les jeux sont faits. » Cette affirmation nous invite à ne pas se contenter de considérer la délibération comme une étape préalable inévitable à la volonté. Elle nous pousse davantage à questionner la profondeur du rôle qu’elle joue réellement dans la prise de décision consciente.

Au-delà des jeux de hasard classiques comme la roulette ou le blackjack – dont l’allégorie Sartre choisit pour illustrer l’idée de « les jeux sont faits » en référence à la musique de Rose M (FRA) – cette expression prend une dimension métaphorique extrêmement riche. Dans son œuvre *L’Être et le Néant*, Sartre insiste sur l’idée que tout de décision a déjà été arrimé à une intention avant même qu’elle ne commence à être réellement prise. Ayant adopté une perspective existentialiste profonde, Sartre affirme que la délibération est donc toujours un aspect postérieur d’une volonté qui existe déjà avant qu’on ne commence réellement à envisager nos options.

Sartre écrit : « Laisser que la délibération intervienne après que la volonté est prise est une illusion historique, une illusion logique. L’interpréter comme le moment où la conscience humaine se fait arbitre de son sort est une illusion anthropologique. » Cette affirmation est particulièrement forte et demande au lecteur de se tourner vers une réflexion approfondie sur la réalité du choix humain, une réflexion qui dépasse les frontières de la simple réduction à l’acte de délibération.

Décryptons cet énoncé. Pour Sartre, une fois que nous commençons à délibérer, les choix possibles sont déjà figés. De manière paradoxale, c’est la délibération même – la phase où nous pourrions penser être libres de faire n’importe quel choix – qui nous montre que ces choix ont été précédés d’autres mouvements volontaires. Il y a délibération a posteriori qui consiste à se remémorer la prise de décision et à analyser les mobiles qui ont guidé cette prise de décision, mais la décision elle-même a déjà été prise.

Cette perspective s’articule avec la notion sartreienne de choix authentique. Au moment où j’adoptais une décision particulière, je faisais plus qu’adopter un choix, j’adoptais une totalité d’engagements qui me caractériseront jusqu’à la fin de ma vie. Et dans ce choix, même avant d avoir réfléchi, j’ai commencé à définir qui je serai.

Dans la vie quotidienne, nous rencontrons cette situation bien souvent sans la reconnaître. Prenons un exemple simple : l’achat d’un livre. Quand j’entre dans une librairie, je n’ai pas besoin de réfléchir pour dire que je vais emmener un livre avec moi. Le choix de m’engager dans l’action mène non seulement à l’achat du livre, mais à mon engagement envers une certaine forme de plaisir, de curiosité, peut-être même le désir de trouver une nouvelle direction dans ma vie. J’ai choisi un type de plaisir et j’ai fait un engagement sans avoir eu besoin de réfléchir – mais une fois que j’entre dans la librairie, j’aurai besoin de choisir quel livre prendre, et je vais alors délibérer.

Ceci n’est pas pour dire que la délibération n’est pas importante. Bien au contraire. La délibération est un moment crucial où nous clarifions nos mobiles les uns des autres – et ce, sans pour autant que la volonté soit née de cette délibération. Dans ce sens, délibérer : c’est accepter de résoudre un problème après avoir déjà pris une option globale qui fait sens pour nous. Une délibération qui nous permet d’adapter l’engagement initial à la situation.

Il semble paradoxal de dire que les jeux sont faits avant la délibération. Pourtant, lorsqu’on s’en approche sous cet angle, on peut comprendre une réalité fondamentale de notre condition humaine : nous sommes déjà des sujets avant même de devenir des juges ou des délibérateurs de nos propres actes. Notre condition s’invente constamment et nous sommes constamment en train d’écrire notre propre histoire.

Il est donc crucial de se rappeler que la délibération est une sorte de réfléxion rétrospective sur notre chemin. Comme le suggère Sartre, la délibération est la reconnaissance de l’acte que nous avons déjà initié. Elle est une forme de renaissance, d’une acceptation de notre engagement avec le monde. Elle est une forme de liberté sans l’emprise du doute, où la réflexion est une forme de reconnaissance de notre engagement initial qui nous force au jugement.

Pour conclure, l’idée de Sartre en matière de délibération semble être que nous sommes tous les sujets des jeux de la vie avant même de délibérer. Délibérer est alors un exercice qui ne peut être que rétrospectif, une forme de prise de conscience de l’engagement que nous avons déjà pris. Cette idée peut sembler provocante et difficile à accepter. Cependant, cela n’annule pas notre capacité à faire des choix authentiques. Elle élimine seulement l’illusion de pouvoir faire des choix de zéro, sans aucune forme de contrainte préexistante.

Sartre nous défie donc à réfléchir sur la nature des choix que nous faisons et du libre arbitre humain. Sa rhétorique visant à détruire les illusions fondamentales que nous avons sur la prise de décision est une réflexion philosophique qui transcende simplement le choix de décrire la couleur d’un sofa. Il atteint les fondements de ce qui nous rend humains : notre capacité à faire face à l’absolu de notre liberté sans capacité de prévoir tout choix avec certitude.

En fin de compte, la réflexion de Sartre sous forme de « Quand je délibère, les jeux sont faits » invite à une prise de conscience plus profonde de la condition humaine : la prise de décision est un processus complexe où dans la mesure où nous la traduisons en action, nous avons déjà concru à une certaine réalité. Il faut s’engager dans la vie et reconnaître que nous sommes les acteurs de notre propre histoire. Et peu importe que la délibération intervienne après, elle nous aide à mieux comprendre notre décision et à adopter une position authentique face à ce que nous avons choisi de devenir.

Ce point de vue sartreien offre une perspective très profonde sur la nature de la volonté humaine, et sur l’histoire de notre voyage en tant qu’êtres humains. Il nous oblige à reconsidérer nos attitudes face à la prédisposition existentielle à la liberté où nous sommes constamment engagés dans des décisions qui se formulent en nous même sans être délibérément prises. Être libre, c’est être tout autre chose que prendre des décisions consciemment, c’est paradoxalement comprendre qu’à chaque instant, les jeux sont déjà en cours.